Salima Naji, franco-marocaine originaire de Rabat, est une figure phare de la restauration patrimoniale au Maroc. Elle y conjugue excellence architecturale et rigueur anthropologique pour redonner vie aux édifices menacés.
Docteure en anthropologie de l’EHESS1 et diplômée d’architecture, elle s’est installée en 2008 dans le sud marocain, déterminée à agir là où le patrimoine rural et urbain se détériore.
Son objectif est double : préserver la mémoire collective des communautés locales et transmettre un savoir-faire traditionnel adapté aux enjeux contemporains.
Au fil de ses projets, Salima Naji a su mobiliser les savoir-faire et la mémoire des territoires les plus reculés du Maroc.
Son engagement pour la sauvegarde du patrimoine de terre s’est dĂ©ployĂ© sur plusieurs fronts
Les Greniers Collectifs (Igoudar) de l’Anti-Atlas sont le cĹ“ur de son travail, avec de nombreux sites restaurĂ©s Ă savoir :
*Agadir Tasguinte (Cercle d’AĂŻt Baha) :Restauration complète de ce grenier fortifiĂ©, un projet pilote qui a servi de modèle.
*Agadir Tiguemi (ou Tigmi, Cercle d’AĂŻt Baha) : Un autre grenier majeur qu’elle a sauvĂ© de la ruine.
*Agadir n’Tiferd (Cercle d’AĂŻt Baha) : Restauration pour redonner vie Ă cette « banque de cĂ©rĂ©ales » traditionnelle.
*Agadir Id AĂŻssa (Taroudant) : Chantier de restauration visant Ă stabiliser la structure et former des artisans locaux.
*Agadir Amtoudi (Province de Guelmim) : Bien que lĂ©gèrement au sud du Souss, ce projet phare dans un grenier spectaculaire fait partie de sa zone d’intervention Ă©largie.
Les Ksour et les Kasbahs ocupent également une place importante dans ses projets tels que :
*Ksar de Tiout (Taroudant) : Elle a coordonnĂ© la restauration du grenier collectif (igoudar) Ă l’intĂ©rieur du Ksar. Son travail s’est inscrit dans un projet plus large de revitalisation de l’oasis.
*Kasbah de Tizourgane (Cercle d’AĂŻt Baha)
*Divers Ksour dans la vallĂ©e de l’Assif El-Mal (Taroudant) : Travaux de consolidation et de restauration sur plusieurs villages de terre pour lutter contre l’abandon.
La Kasbah d’Agadir Oufella (Agadir) est son chantier le plus mĂ©diatique et le plus complexe dont l’objectif est de restaurer la citadelle historique dĂ©truite par le sĂ©isme de 1960 en tentant de rĂ©concilier la mĂ©moire douloureuse du site (sĂ©pultures) avec les impĂ©ratifs techniques et archĂ©ologiques. Pour ce faire, la pierre et du pisĂ©, avec des mortiers Ă la chaux seront exclusivement utilisĂ©s. Les parties anciennes se distingueront visuellement des parties nouvelles.
| Ainsi en est-il de la Kasbah Agadir Oufella ! La restitution de la Kasbah d’Agadir Oufella, emblème martyr du sĂ©isme de 1960, fut bien plus qu’un chantier de restauration. Une aventure humaine et technique, menĂ©e par l’architecte Salima Naji, pour rĂ©concilier un deuil inachevĂ©, des vestiges abĂ®mĂ©s et les exigences de la conservation moderne. Restituer la Kasbah Agadir Oufella relevait du dĂ©fi impossible. Le projet s’est heurtĂ© Ă des obstacles immatĂ©riels, liĂ©s Ă une mĂ©moire douloureuse, et matĂ©riels, fruit d’interventions antĂ©rieures inadaptĂ©es. Un sol sacrĂ©, un deuil inachevĂ© Le principal dĂ©fi Ă©tait mĂ©moriel. Le sol de la citadelle est un cimetière dissimulĂ© sous les dĂ©combres oĂą reposent environ mille victimes du tremblement de terre de 1960, jamais exhumĂ©es. Pour les survivants et leurs descendants, ce lieu est une sĂ©pulture Ă ciel ouvert, un deuil impossible Ă faire. PortĂ©s par cette douleur, les ayants droit ont exprimĂ© des demandes contradictoires : certains exigeaient une reconstruction Ă l’identique, un mirage du « paysage d’avant » ; d’autres s’opposaient farouchement Ă toute fouille, par crainte de profaner les dĂ©pouilles. Un patrimoine dĂ©naturĂ© par des interventions inadaptĂ©es La tâche des restaurateurs Ă©tait d’autant plus complexe que le site avait subi plusieurs outrages. Dans les annĂ©es 1980, un tombeau en bĂ©ton et parpaings avait Ă©tĂ© implantĂ© en son cĹ“ur. En 2007, un mur aux fondations en bĂ©ton armĂ© Ă©tait venu s’adosser aux remparts en pisĂ©, violant l’intĂ©gritĂ© des techniques de construction traditionnelles. Ajoutez Ă cela des socles de bĂ©ton pour antennes et une entrĂ©e retapĂ©e Ă la hâte, et l’on obtient un palimpseste architectural illisible. La mĂ©diation et l’expertise comme solutions face Pour dĂ©passer ces blocages, l’architecte Salima Naji a menĂ© un travail de fond remarquable. Afin d’apaiser les craintes liĂ©es Ă la sacralitĂ© des lieux, elle a obtenu une fatwa autorisant les fouilles archĂ©ologiques dans les zones identifiĂ©es comme non funĂ©raires. Un protocole d’archĂ©ologie post-catastrophe fut mis en place sous supervision de mĂ©diĂ©vistes. Face aux attentes divergentes des survivants, elle a privilĂ©giĂ© le dialogue, organisant des ateliers pour prĂ©senter des exemples de reconstructions raisonnĂ©es, comme Mostar ou les Bouddhas de Bamyan. L’objectif : faire Ă©voluer la demande vers une restitution experte, qui allie le respect de la mĂ©moire et les impĂ©ratifs de sĂ©curitĂ© parasismique. Une restitution sensible et lisible Le rĂ©sultat est une restauration qui assume l’histoire du site sans la trahir. Les vestiges originels sont distinguĂ©s des reconstructions par deux tons de chaux, reliĂ©s par ce que l’architecte nomme le « cerne de la douleur », matĂ©rialisant la fracture du sĂ©isme. Pour prĂ©server l’intĂ©gritĂ© du paysage, les amĂ©nagements d’accueil ont Ă©tĂ© intelligemment intĂ©grĂ©s en souterrain. La Kasbah Agadir Oufella renaĂ®t ainsi. Non pas comme un fantĂ´me du passĂ©, mais comme un tĂ©moin rĂ©silient, oĂą la mĂ©moire des disparus dialogue enfin avec la pĂ©rennitĂ© d’un patrimoine sauvĂ©. |
Pour cette superbe restauration de la Kasbah Agadir Oufella, projet emblématique où elle a défendu l’usage exclusif de matériaux locaux comme la terre, la pierre et le bois, Salima Naji a obtenu le prestigieux Prix européen d’architecture Philippe-Rotthier.
Son approche allie fidèle restitution historique et innovations sobres, à l’image d’un téléphérique discret qui permet aux visiteurs d’accéder au site. L’intérieur de la forteresse a été aménagé avec un parcours sur platelage de bois, mettant en valeur les multiples traces de réparations et la coexistence religieuse ayant marqué la Kasbah. Les aménagements liés à l’accueil, comme un café et un restaurant, sont intégrés dans une plateforme en pierre souterraine, respectant ainsi l’intégrité du paysage.
Son protocole scientifique de reconstruction, élaboré en concertation avec des médiévistes, archéologues et historiens, lui a permis de distinguer clairement les vestiges originaux des reconstructions récentes par des tons différenciés de chaux, faisant de la Kasbah un lieu de mémoire vivante. Ces détails renforcent l’importance de ce chantier comme un exemple mondial de restauration patrimoniale respectueuse et humaine.
Chacune de ces interventions s’appuie sur un protocole d’archéologie participative – fouilles respectueuses, ateliers d’écoute avec les anciens –, et sur la valorisation des matériaux et des techniques d’origine : pisé, pierre sèche, enduits à la chaux.
Ainsi, qu’il s’agisse de greniers de l’Anti-Atlas, de la kasbah d’Agadir Oufella ou de villages troglodytiques du Sahara atlantique, son approche conjugue Ă©troitement dimensions humaine, scientifique et patrimoniale.
Son action s’étend aujourd’hui à l’ensemble de la région du Souss : réhabilitation de villages berbères, restauration de forts portugais, documentation des savoir-faire liés à la construction en pisé. Elle œuvre aussi à la création d’un centre de ressources pour la conservation durable, mêlant manuel et numérique, afin que les générations futures perpétuent ces pratiques.
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- L’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales (EHESS) est un grand Ă©tablissement français dont les campus sont situĂ©s Ă Aubervilliers, Marseille et Paris. ↩︎
Source : Entretien avec Salima Naji: restituer la forteresse d’Agadir | Espazium, MaÂroc: comÂment (se) reÂconsÂtruire, SĂ©isme d’Al Haouz: misÂsion de reÂconÂnaisÂsance, Quand la terre bouge – Ă©tat des lieux, Regeneration of the Citadel of Agadir Oufella – Journal of Traditional Building, Architecture & Urbanism (2024), Results of the 14th European Prize of Architecture Philippe Rotthier 2024 – INTBAU, Laureates – Philippe Rotthier Prize 2024 (Fondation), Salima Naji – EPFL (Architecture as Ecosystem). (Espazium), Salima Naji’s Quest to Preserve Culture Through Architecture, Maison des Artisans | Studio Salima Naji, Salima Naji Maroc Architecte engagĂ©e LA RELEVE FÉMININE DE HASSAN FATHY


